Faut-il avoir du courage ou laisser la vie nous sourire ? Chapitre 2

Et si le seul courage, c’était de continuer… de continuer à bâtir ?

Pour faire suite à l’article précédent… toujours sur la thématique du courage et de la chance… Je vous avais dit que je vous parlerais de Noé et de son arche…

En fait, cette histoire biblique a été pour moi l’occasion de prendre conscience d’une chose merveilleuse : le seul vrai courage, c’est de continuer à faire des petits pas. De continuer à agir… A sa mesure…

J’ai eu l’occasion de vivre une expérience absolument magnifique, inspirée de l’approche systémique, où ce qui est proposé, c’est de se mettre dans la peau d’un des personnages du récit, et de sentir – paradoxe du comédien qui joue avec qui il est – de ressentir, de l’intérieur, ce que vit ce personnage, en résonance avec son environnement, avec les autres personnages.

Lors de ce week-end, animé par une femme remarquable, Geneviève Muller, que je salue avec un profond respect et une grande gratitude pour tout ce qu’elle m’a transmis… nous avons vécu l’histoire de Noé, et du déluge.

Après une première lecture du texte, chacun se sent inspiré- aspiré par tel ou tel personnage ou élément de la scène : qui les sources du grand abîme, qui une bestiole, qui l’âne, qui l’arche, qui la femme ou l’un des trois fils de Noé etc.

Hé bien, moi, le personnage qui m’inspirait, celui qui me rejoignait, c’était le personnage de Noé. Je ne sais pourquoi et peu importe, en tout cas il avait quelque chose à me dire à ce moment-là de ma vie.

Lorsque nous avons commencé à jouer la scène, la personne qui vivait le personnage de la femme de Noé, ma femme donc, en quelque sorte, sentit une émotion la déborder et elle m’interpella : « Je trouve injuste que nous soyons les seuls hommes à être sauvés par Yawhé, les seuls à pouvoir sortir vivants de ce déluge, nous et nos trois fils… Ne trouves-tu pas Noé ? Pourquoi nous ? Pourquoi nous et pas les autres, c’est injuste ! »

Je m’entendis lui répondre avec calme : « Ce n’est ni juste, ni injuste. C’est. Yawhé était fatigué de la violence des hommes. Il a choisi d’envoyer les eaux du déluges pour laver la terre de la violence des hommes… Et moi aussi je suis fatigué… Alors vient un temps, quand on est vraiment fatigué… où il n’y a plus ni « pourquoi », ni « moi »… Il n’y a plus d’ego, de passé et d’avenir, seul compte le présent. Il n’y a plus que « comment », et comment être au service de ce qui s’accomplit à travers moi… Alors moi, aujourd’hui, je vais juste me mettre à bâtir, comme demandé, une arche en bois résineux, enduite de bitume en dedans et en dehors, avec un premier, un second et un troisième étage, longue de trois cents coudées, etc. Je vais juste faire. »

Peut-être me prenez-vous pour une illuminée. Et peut-être avez-vous raison. Mais cette expérience m’a fait toucher du doigt un sentiment extrêmement puissant : il m’est apparu que c’était précisément parce que j’étais fatiguée, lassée par la colère des hommes (c’est-à-dire en fait que je contactais aussi quelque chose qui était de l’ordre de ma propre colère intérieure inextinguible…) que je pouvais être choisie comme « chef » par Yawhé pour réaliser cette arche et faire traverser cette épreuve à tout le règne animal…

C’était parce que je me savais petite, faillible, fatiguée, presque anéantie… que je pouvais être « choisie » pour mener à bien une tâche qui m’aurait semblé impressionnante et irréalisable quelques temps auparavant. Je serais alors repartie dans le « pourquoi moi », dans la dévalorisation des « je ne serai pas à la hauteur de la tâche » etc. Là, au contraire, ce qui m’apparaissait… c’était que, c’était précisément dans la reconnaissance de ma faiblesse, physique, même, que je pouvais trouver la force de faire. Simplement faire. Pour accomplir. Pour réaliser. Au service…

Il n’y avait plus de questions, de « qui tu es pour prétendre », « qui tu es pour prendre cette place… etc. » Il n’y avait plus que l’évidence que c’était à moi de faire… au service des autres hommes… Je me sentais alors puissante parce que faible, faible donc puissante, c’est à dire « juste ». Juste à ma place. C’est peut-être dans ce sens, précisément, qu’est à entendre l’expression « homme juste », de ce texte de l’Ancien Testament. Un homme dans la justesse de sa place. Pas un homme juste parce que dans la justice. Dans la justesse… du règne animal que Yawhé veut sauver. Animalement juste. Instinctivement juste. Un homme qui retrouve sa place au sein de l’univers. Au sein de son cosmos. Cosmos qui signifie « harmonie ».

Ni plus, ni moins. Un homme qui se laisser traverser par cet axe longitudinal qui passe juste par lui. Point barre. Un homme qui accepte sa mission. Il n’y a qu’à faire.

Je me sens drôle en vous écrivant cela parce que je me demande vraiment comment je peux avoir l’audace de vous partager cette expérience, comment je peux penser que cela pourrait vous rejoindre et éventuellement vous aider sur votre chemin. Et pourtant, justement, il me semble que plus je vous ouvre des expériences profondes et transformantes pour moi, et plus vos retours sont eux aussi ouverts et profonds… Alors je me risque. Je me risque « juste » à avoir le courage (?) de prendre la vie comme elle vient, d’écrire ce que je sens que j’ai à dire… pour aujourd’hui…

Je pense en finissant ce petit temps d’écriture… au poème de Rudyard Kipling : « Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie… et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir… » Quelque daté qu’il soit, j’ai tout de même envie de vous le redonner à lire, si cela vous dit…

« Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frères,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être que penseur ;

Si tu sais être dur, sans jamais être en rage,
Si tu sais être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral et pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois les Dieux la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un homme mon fils ! »*

Et si Rudyard Kipling avait eu une fille, il aurait dit sans doute : « Tu seras une fille, ma fille… »

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*traduction d’André Maurois